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E-critures
4 décembre 2007

Téléphone

 Un jour, le téléphone sonne. Tu décroches et tu colles ton oreille contre le combiné. Tu sens quelque chose d’anormal. Tu n’as pas le temps de dire « Allo ». Toutes tes idées sont aspirées par l’appareil. Tu sens ton cerveau sortir par ton oreille. Il y a une sorte de réajustement. Tu es ton cerveau sorti par ton oreille. Tu sens la déchirure avec ton corps. Tu coules dans le fil du téléphone, il fait noir et tu entends ta mère monologuer. Des phrases dont tu ne comprends que des bribes. Tu avances plus vite que la conversation. Tu tombes dans une sorte de carrefour. Tu avances prudemment. Tu entends encore plus de voix. Des voix inconnues, ton voisin peut-être. Ça bourdonne dans ton oreille. Les gens parlent de tout et n’importe quoi. Néanmoins lors de ta progression tu ne peux t’empêcher de te concentrer sur une discussion particulière. Un moyen de rendre le brouhaha plus supportable. A un moment tu interviens dans le dialogue. Il s’agit d’une conversation entre deux adolescents qui parlent des filles de leur classe et qui, visiblement, sont tombés amoureux de la même mais refuse de l’avouer. Elle s’appelle Isabelle. Tu dis d’une voix normale : « Elle est pas belle Isabelle ! » Les lycéens t’entendent. Ils sont surpris. Tu as une réaction stupide. Tu cours à toute vitesse. Tu débouches sur une autoroute. Tu tombes à genoux et te bouche les oreilles. Un léger malaise mais quelques secondes suffisent à te rétablir. Un peu de courage. Il doit bien y avoir une sortie. A ce moment, quelque chose d’inouïe se produit, les sons se mettent à tourbillonner autour de toi et soulèvent les feuilles mortes sonores. Elles se rassemblent pour former une immense sphère au dessus de toi. Le démon du téléphone. C’est en fait un dragon avec un gros ventre, bien moins impressionnant que ce que tu as pu imaginer. Tu lui dis : « Tu ne me fais pas peur ». Il gonfle soudain. Sa taille est colossale. Tu prends tes jambes à ton cou. Il te poursuit en crachant du feu. Les parois du fil téléphonique fondent juste devant toi et tu t’enfuis dans la ville. Propulsé dans les airs, tu te retournes et aperçoit avec stupeur toutes sortes de créatures affreuses qui se sont échappées de la ligne internet-téléphonique-de télévision. La globalisation des chimères a aussi ses défauts : à la moindre faille c’est le drame. Si tu ne fais rien, le monde va disparaître. Tu rassembles tout ton courage dans un ultime effort. Tu t’arrêtes et te retournes pour faire face aux horreurs du monde. Tu ouvres la bouche. Grand. Très grand. Et d’une seule bouchée, tu avales tout. La sonnerie de téléphone te réveille. La bouche ouverte, tu as bavé sur ton oreiller.

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